Je vis bien comme je suis

6 petits jours éclairs depuis mon diagnostic. Très peu de gens ont tenté de me soutirer des mots afin de savoir comment je me sens face à tout ça. Et ça fait plutôt mon affaire parce qu’en réalité je ne saurais pas quoi dire. C’est bien facile de dire que ça va m’aider à mieux me connaître, à mieux respecter mes limites, toussi toussa, mais encore faut-il savoir comment s’y prendre.

J’ai découvert le syndrome d’Asperger en fouillant sur Internet à propos des maladresses sociales qui dictent ma vie depuis toujours. Puis je me suis reconnu dans ce syndrome et j’ai gobé autant d’informations que je le pouvais à ce sujet. Certain d’avoir mis le doigt sur ma différence, je suis allé rencontrer une neuropsy. C’est maintenant confirmé : j’ai une façon différente d’analyser et d’interagir avec mon monde.  Des choses qui sont évidentes pour la majorité des gens (« normaux ») ne le sont pas forcément pour moi, et vice-versa. Mon cerveau ne fonctionne pas de la même façon, c’est aussi simple que ça. J’excelle à masquer ma différence, ce qui est très pratique, mais demande beaucoup beaucoup d’énergie. La rencontre m’a aussi permis de savoir que j’ai une intelligence supérieure, ce qui est flatteur, mais assez incommodant, j’aurai l’occasion d’en discuter dans un futur article.

Mais qu’est-ce que ça fait tout ça, au juste ? Et bien, voyez-vous, je ne sais pas. Je dirais : rien. Je vis bien. C’est à ça que nous aspirons tous, n’est-ce pas ?

Les amis

Je n’ai pas vraiment d’amis, mais je n’ai pas le sentiment d’en avoir besoin. C’est une énorme consommation d’énergie qui demande constamment de jouer à un jeu social auquel je suis très mauvais. Je suis souvent trop franc et trop direct pour être apprécié dans une amitié. C’est que je crois que la majorité des gens cherchent la superficialité et ont de surcroît souvent besoin de se faire dire qu’ils ont raison même lorsqu’ils ont tort (et qu’ils le savent). Et ce n’est définitivement pas quelque chose que je suis en mesure de faire. Lorsque quelqu’un partage quelque chose de faux, je m’abstiens le plus souvent de m’engager dans la discussion et je tente de me mettre en retrait, car j’ai eu de mauvaises expériences dans le passé. Les gens semblent aussi aimer se faire rassurer dans des moments d’insécurité. Chose à laquelle je n’excelle pas non plus. Ce n’est vraiment pas naturel pour moi, et j’ai l’impression que ça paraît beaucoup. Je suis toujours en mode solution. Lorsque quelqu’un a un problème et cherche du réconfort, mon cerveau vire à tout allure et propose des solutions plutôt que du réconfort. J’adore les choses logiques, les vérités.

Les gens aiment aussi discuter de sujet qu’ils ne connaissent pas, en prétendant le contraire. Je connais peu de choses, mais je sais ce que je ne connais pas, et j’aime apprendre ce que je ne connais pas de gens qui connaissent. Sinon ce n’est que rependre de mauvaises informations et une perte de temps inacceptable pour moi. J’apprécie énormément les conversations profondes et stimulantes intellectuellement. Ça ne veut évidemment pas dire que je suis incapable de parler de tout et de rien, mais à dose très très très inférieure à celle de la population générale. Mais encore, je ne vois pas ça comme un problème. Je vois ça comme une différence, certes. Une différence qui a comme conséquence l’accessibilité à l’amitié un peu plus difficile.

Il faut dire aussi que même si je prétends ne pas avoir besoin d’amis, je suis entouré d’une famille et d’une belle-famille très présente. J’ai définitivement besoin de ces relations dans ma vie et je les comblerais autrement si je ne les avais pas.

Je suis bon dans les relations sociales superficielles. Ça reste en surface, mon masque fonctionne bien, je l’ai bien pratiqué et j’ai plutôt bien appris, alors ça va. Mais lorsque ça devient plus « intime », c’est beaucoup plus difficile pour moi (et donc pour l’autre) de l’apprécier, car je dois de plus en plus désactiver mon filtre et me présenter au naturel : « socialement désagréable ». Pour moi non, mais pour un neurotypique oui car je dis les choses telles qu’elles sont, je ne sens pas le besoin de me gêner pour reprendre l’autre (et ça ne me dérange évidemment pas du tout d’être repris – sans être coupé car je vais perdre le fils complètement), je parle sans cesse de mes intérêts restreints, etc. Ce qui est socialement difficilement gérable pour certains, comme la vérité, les discussions profondes, le partage constant de connaissances, etc. sont faciles pour moi. À l’inverse, discuter de tout et de rien m’est difficile. Il y a tant de choses que je ne comprends pas dans les non-dits, et je n’y adhère pas.

Et puis il y a la difficulté de trouver des gens réellement tolérants aux différences, car beaucoup d’entre eux semblent très désintéressés à prendre le temps de comprendre les différences dans notre société. Ce n’est pas tout le monde qui rentre (et souhaite rentrer !) dans le fameux moule social. J’ai également lu que la majorité des gens se ressourceraient eux-mêmes dans les rencontres sociales. C’est donc être entouré de gens qui les détendent. Moi c’est totalement faux. Être entouré de gens me demande énormément d’énergie. Ce qui me détend et me rend zen (et me fait aussi coucher aux petites heures du matin), c’est de configurer un nouveau serveur, de programmer une nouvelle application Web et régler des bugs.

Un problème d’apparences

Une des choses qui me dérange le plus dans le fait d’avoir peu d’amis est en réalité très superficielle. Ma conjointe et moi allons nous marier (j’ai demandé sa main au sommet de la tour Effeil et j’en suis fier). Nous ne savons pas encore quand, car avec l’arrivée des jumelles, ce ne sera pas cet été mais possiblement l’autre. Si nous avons suffisamment de sous pour le faire. Nous pourrions évidemment officialiser notre union à peu de frais immédiatement, mais nous souhaitons attendre d’être réunis avec tous nos proches dans une grande célébration officialisant notre union pour, nous l’espérons, la vie. Ça l’air le fun. Une belle constante dans un monde de variables. Mais pour en revenir au sujet principal, ce qui me dérange dans le fait de ne pas avoir d’amis est que je ne répondrai pas aux critères sociaux comme on les voit dans les films américains : je n’aurai pas de garçons d’honneur avec qui j’ai fait les 100 coups étant plus jeunes. En fait, moi, ça ne me dérange pas du tout de ne pas en avoir. Ce qui me dérange surtout est de ne pas répondre aux normes et d’imposer ma différence à ma conjointe. Car bien que je ne vis pas au travers du regard des autres, je n’y suis pas insensible et ma conjointe encore moins. Et les gens ont un énorme besoin de faire comprendre aux autres que certaines différentes sont limites inacceptables. Je n’aurai pas fini d’entendre des questionnements à savoir pourquoi je n’ai pas de garçons d’honneur et à subir le jugement social de ne pas avoir d’amis, alors qu’en réalité, je suis simplement différent dans mes besoins.

Intérêts restreints

Parlant d’intérêts restreints. Dans mon cas, c’est l’informatique. Ça n’a jamais été très problématique si on ignore le fait qu’une bonne somme y passe annuellement. J’ai une soif de savoir insatiable, ce qui n’est définitivement pas un problème de mon point de vue. D’un oeil extérieur, ça peut avoir l’air très intense, et j’ai la réputation de sauter d’un « trip » à un autre, ce qui n’est pas faux. C’est que lorsque je mets mon énergie dans quelque chose, tout y est. Mais encore, ce n’est pas un problème.

Communiquer

Avec autant d’années de pratique, j’ai acquis une maîtrise que je crois suffisante de la compréhension et de l’utilisation des signaux et des codes sociaux. Je suis pas trop mauvais dans le non verbal, mais j’ai des difficultés évidentes à décoder ce que les autres pensent et ressentent en me fiant au non verbal. J’ai besoin de mots. Idéalement de mots écrits. Je fais des gaffes, comme ne pas savoir quand la conversation est terminée et donc dire un genre de  » Bye  » qui se finit avec un point d’interrogation à la fin. « Bye ? » ou encore « Okay ? Heu … Bye ? ». Ma mère a un truc que j’aime bien, quand la conversation est terminée, elle me lance un « Bon bin c’est tout ce que je voulais mon homme ». Donc je sais que je dois dire « Okay, bye ! ». Même si souvent, moi je n’ai pas terminé. Mais ça, c’est l’histoire de ma vie de ne pas être en mesure d’avoir de discussions complètes comme je les imagine. J’ai aussi parfois de la difficulté à savoir quand me joindre à la conversation. Mais généralement, ça va. J’ai bien appris.

Croiser quelqu’un qui me lance un « Salut, ça va ? » au centre d’achat m’est très pénible. Déjà car bien souvent je ne le reconnaîtrai pas étant donné que son visage a été enregistré dans ma mémoire dans un certain contexte précis, mais aussi car nous n’avons évidemment pas le temps pour une conversation. Il me semble qu’un petit coup de tête de type « salut » serait amplement suffisant. Ou juste ne rien faire, non ? Ça semble l’idéal.

Immuabilité <3

J’aime les choses immuables. Un changement de routine et d’horaire me rend anxieux. Les nouvelles situations me rendent anxieux. Sauf ce que je décide moi-même (et encore!), car je m’y suis préparé (et encore, aussi!). Faire une crise de panique durant une semaine de temps en voyage, c’est totalement déconnecté de n’importe logique humainement possible. Mais ça fait partie de ma personne. Et c’est un problème que je devrai certainement tenter de régler.

Mot de la fin

Donc voilà, en somme, mon nouveau diagnostic ne change rien, car il ne crée pas de problèmes et ne règle rien en soi. Il apporte un certain apaisement à ma conscience par rapport à mes attentes de performance. Je serai peut-être plus clément dans l’autocritique de ma personne, mais je crois que les gros travaux que j’avais à faire sur moi-même sont faits. Un objectif social que j’aimerais bien me mettre serait de faire plus d’efforts à trouver des relations amicales dans lesquelles je serais à l’aise. Donc des gens comme moi, un peu différents, qui apprécient davantage les discussions intellectuelles aux discussions météo.


Cet article vous a plu ? Pensez à suivre ma page Facebook !







Keven

À propos de Keven

Passionné d'informatique, d'électronique et de « machines à gaz ». Papa d'un garçon et de deux jumelles. Sur mon bateau d'Aspie, tantôt troué tantôt réparé, j'échappe quelques lignes sur mon blogue que j'ai créé pour évader mes pensées.

11 commentaires

Bonjour,

Je vous lis depuis un petit moment déjà et je me permets de vous laisser un message aujourd’hui car j’ai été particulièrement ému à la lecture de votre texte, tant il y a de similitudes entre nos parcours (malgré les années et les kilomètres qui nous séparent !). Je suis, comme vous, diagnostiqué depuis peu (22 juillet) et je me retrouve tellement dans vos interrogations et vos ressentis.

Moi aussi, je vis bien le fait de ne pas avoir besoin d’être entouré d’amis ou soi-disant tels (je suis bien dans mon couple et cela me suffit amplement), de ne pas aimer le « small talk », qu’il soit capillaire ou météorologique, d’apprécier ma routine rassurante et de ne pas avoir à prétendre avoir une vie extraordinaire pour me sentir bien dans ma peau et/ou auprès d’autrui. J’ai vécu assez longtemps avec cette différence pour savoir plus ou moins bien comment me comporter en société pour « limiter les dégâts ».
Et si effectivement le diagnostic n’a rien « résolu », il m’a au moins permis de mettre un mot sur ce malaise diffus mais constant qui m’étreint dès que je suis en société. Depuis l’annonce de cette nouvelle, dès qu’il y a interaction sociale, j’ai remarqué que j’ai tendance à me mettre inconsciemment en position « analyse » des situations/réactions. Pour autant, je ne prétends pas mieux comprendre mon fonctionnement (ni celui des autres), je n’ai pas toutes les réponses, et ne sais pas toujours où aller les chercher (tout cela est encore tout nouveau pour moi). Mais j’ai l’impression que, grâce au diagnostic, je suis en position d’améliorer les choses et d’« adoucir » les points d’achoppement dans mes relations sociales qui sont, en fait, la seule manifestation et le seul problème récurrent de mon TSA.

Bon bin c’est tout ce que je voulais 😉
Et merci encore pour votre blog(ue, à la québécoise)

Je me retrouve profondément dans ce que vous dites, ça me soulage de savoir que je ne suis pas seul. Vous avez embelli ma journée. Merci beaucoup d’avoir pris le temps de commenter, ça me touche beaucoup.

Avatar
maman d’Aspie

Merci merci merci! Je transmets à ma fille de 12 ans, diagnostiquée depuis quelques mois. Je la retrouve dans tout votre texte. Elle se sentira moins seule.

Vos remerciements me font chaud au coeur.

Merci mille fois pour ce beau texte si bien écris et facile à comprendre.
Je m’y reconnais car j’ai un diagnostic depuis le 15 juin 2017.
Je suis soulagée de mettre un nom sur ma différence.
Par contre moi j’aurais besoin d’en parler et mon entourage immédiat fait comme si
de rien n’était et n’ose même pas prononcer le mot…
J’aurais aimé qu’ils lisent sur le sujet et qu’ils comprennent mieux…

Je vous souhaite que ça s’arrange et que vos désirs se réalisent, vous le méritez. Certaines personnes ont besoin de beaucoup plus de temps que d’autres pour s’adapter à une nouvelle réalité.

Je te confirme Keven, qu’ à la lecture de ton texte, j’ai souri, j’ai compris, j’ai apprécié qu’il existe une personne qui me ressemble et qui partage de plus, son expérience. Je vais passer un certain temps sur ton blogue. J’ai 41 ans et j’ai passé une vie qualifiée de sauvage, marginale, égocentrique, trop franche, trop directe, trop passionnée etc etc Place à la liberté à présent et orientons nos choix dans notre direction x

Merci pour les bons mots Rachel. Une vie différente est synonyme de réussite dans mon dictionnaire !

Un tout grand merci pour ce partage. Je suis en attente de diagnostique, et je me retrouve tellement dans ce que tu décris. Un bout de texte m’a particulièrement frappé: « Je suis toujours en mode solution. Lorsque quelqu’un a un problème et cherche du réconfort, mon cerveau vire à tout allure et propose des solutions plutôt que du réconfort. » Tu m’enlèves les mots de la bouche.
Par contre, moi si j’ai peu d’amis, c’est un besoin et ça me manque quand même. J’aime bien être seule, mais il y a quand même des moments où Je me sens seule malgré moi, dans le sens où j’aimerais bien avoir des amis, amis c’est eux qui ne veulent pas de moi. Mais bon, c’est comme ça 🙂 Il faut se faire une raison 🙂
Bonne continuation. Vanessa

Allo Vanessa,

Merci pour ton commentaire. Je comprends ton point sur les amis. En fait, je suis pareil. Je dis ne pas avoir besoin d’ami, mais en réalité, c’est surtout parce que j’ai une famille et une belle-famille très présente. J’ai donc des relations amicales que je suis « forcé » d’entretenir, et je crois que c’est bien ainsi pour moi. Sinon ça aurait probablement fait comme mes amitiés passées : j’aurais laissé tomber petit à petit.

Outre la famille, je ne te cacherai que moi aussi ça me manque parfois d’avoir des amis. Lorsque je navigue sur les réseaux sociaux et que je vois de grandes complicités entre deux personnes qui n’ont aucun lien de sang, bref une vraie amitié, ça me touche et je les envie. C’est d’ailleurs le défi que je me donne : trouver des relations amicales dans lesquelles je serais confortable. Donc des gens comme moi, un peu différents, qui apprécient davantage les discussions intellectuelles aux discussions météo.

Ce n’est peut-être pas si difficile, je n’ai pas vraiment cherché non plus. J’ai bien essayé quelques fois, mais les inhabilités sociales rendent ça extrêmement compliqué et je finis par laisser tomber et mettre mon énergie ailleurs. Mais en essayant dans des endroits où les probabilités de croiser des gens compatibles avec moi sont plus élevées, j’aurais certainement plus de chances.

Mais comme je disais, c’est un défi, et ça ne se relève pas tout seul ! Il suffit de les prendre un à la fois.

Au plaisir de te relire !

Très beau texte dans lequel je me retrouve beaucoup. Merci
C’est beau la différence, tant qu’on s’y sent à l’aise =^.^=

Répondre à Vanessa Annuler la réponse

Vous pouvez laisser un commentaire anonynement en indiquant le nom de votre choix.