Il y a un peu plus d’un mois, mon monde tel que je le connaissais s’est effondré. Ce n’était pas la première fois.
Je devais faire place à mon nouveau monde : les jumelles sont nées. C’était une magnifique journée. Vraiment. Mais c’est vite devenu : « désolé, l’abonné que vous tentez de joindre crie derrière un épais brouillard, et vous ne l’entendrez pas ».
À l’hôpital, nous avions les infirmières qui nous aidaient beaucoup. Les jumelles allaient bien, ma conjointe allait bien, bref tout était bien ! Mais j’étais quand même terriblement anxieux. Lors de notre séjour là-bas, je faisais tout de façon très mécanique. J’étais en mode « pilote automatique ». J’avais très peu d’appétit. Comme la première fois, à mon premier bébé, j’étais 100 % anxieux, 100 % du temps. Mais l’ayant déjà vécu, je savais que ça allait passer. Ce n’est pas rien de savoir que ça va aller mieux. On essaie de s’en encourager. Je me donnais trois semaines où j’acceptais d’être dans cet état second.
Nous ne souhaitions pas avoir de visite à l’hôpital, sauf à quelques exceptions près. Nous avions déjà bien assez à gérer. Pour le commun des mortels, ça semble vraiment banal d’avoir beaucoup de visites. Nous regardions amis et familles entrer et sortir des chambres voisines à la nôtre. Ils fêtaient la naissance d’il y a à peine quelques heures. Moi, non. Laissez-moi ma bulle. Ça a apparemment froissé quelques personnes. Je n’entrerai pas trop là-dedans dans cet article, car je pourrais déblatérer longtemps, mais je ne comprendrai jamais cette obstination des gens à imposer leurs façons de faire. Ce n’est pas tous les parents de nouveau-nés de quelques heures qui souhaitent avoir 6 personnes dans la chambre pendant que la maman allaite. En tout cas. Trois personnes sont venues, une après l’autre, et c’était bien suffisant.
Notre séjour a été aussi agréable qu’un séjour en périnatalité peut l’être. Mais j’avais vraiment hâte de retourner à la maison, bien que j’étais très anxieux à l’idée de ne plus avoir d’aide des infirmières. J’allais devoir assumer pleinement mon rôle. Il faut dire aussi que jusque là, bien que j’étais totalement hors de ma zone de confort et de ma routine et que je paniquais un peu, je pouvais inconsciemment mettre ça sur la faute que « j’étais à l’hôpital », que j’allais retrouver ma routine, et que mon état de panique constant allait s’estomper rapidement.
Mais avec ces deux magnifiques naissances, j’avais un deuil important à faire et je le savais : ma routine. Ma si précieuse, si stable, si sereine, si nécessaire routine. Une constante si importante dans ma vie. L’ayant déjà vécu, je savais qu’une nouvelle routine allait prendre le relais. Ma la découvrir me faisait peur.
Arrivés à la maison, nous étions désorganisés. Le petit-plus-si-petit de trois ans a enfin rencontré ses soeurs. Il était tellement fier. Et il l’est tellement encore. Il adore ses soeurs. Quel petit merveilleux petit bonhomme ! Nous sommes reconnaissants que notre garçon ait un si grand coeur.
De l’hôpital au retour à la maison, j’ai vécu quelques jours sur le clonazepam (médicament pour combattre la nervosité et l’anxiété) pour m’aider à y voir clair. Comme la dernière fois, c’était surtout les fins de journées qui étaient particulièrement difficiles. Pourtant je me pensais préparé, nous en avions déjà eu un, je savais comment je m’étais senti, je savais comment y faire face. Ce que je n’avais pas prévu, c’est qu’avoir le double de bébé d’un coup représente un défi colossal. De petits changements les uns à la suite des autres se gèrent relativement bien. Dans mon cas, ayant beaucoup de difficulté avec les changements, ça peut se traduire par des douleurs physiques pour une journée ou deux. Mais autant de changements d’un coup ? C’est incommodant physiquement de longues semaines.
J’étais désemparé. Les nuits étaient courtes, encore plus pour ma conjointe que pour moi. La séparation entre la journée d’hier et la nouvelle qui s’ouvre se fait bien après une bonne nuit de sommeil. Ça marque la fin et le début. Une page blanche. Mais seulement quelques heures de sommeil ici et là, c’est beaucoup moins évident de faire cette séparation. Chacun le gère à sa manière. Dans mon cas, ça avait un impact considérable et c’était difficile. Je n’avais plus le temps de lire. Toujours interrompu.
Même chose pour la musique. Bien sûr, on pouvait mettre un fond de musique à la radio ou autre. Mais ce n’est pas écouter de la musique. Écouter la musique, c’est s’en imprégner. C’est qu’elle fasse un tout avec la personne et ses émotions. C’est une chose extrêmement importante pour moi. J’ai peu d’amis, peu d’aide de la famille et à part vous ici, je communique peu mes ressentis. Et la musique. Parce que la musique et moi disons souvent la même chose. Ça me fait sentir moins seul. Ça me soulage. Ça me donne de la force pour continuer.
Pas de lecture, ça implique aussi pas d’apprentissage. Et pour me sentir bien, je dois constamment apprendre quelque chose. Ok oui, j’apprends bien à m’occuper de deux poupons, sure, et c’est très valorisant, mais ce n’est pas un choix et c’est surtout tellement prenant que c’est la seule chose que je pouvais faire. Donc mes intérêts restreints qui me permettent de relâcher la pression et de permettre à mon cerveau de se mettre dans un mode qui me fait particulièrement du bien n’était plus accessibles non plus.
Je suis passé par des moments difficiles à l’arrivée de notre premier enfant. Notre couple aussi. Mais avec le temps, nous avons trouvé notre rythme, le petit a grandi, est devenu plus autonome, sa personnalité se développe et il nous en fait voir de toutes les couleurs. La situation se gérait bien. Plusieurs constantes, mais aussi plusieurs variables que notre couple arrivait à bien gérer. Mais voilà que tout est changé, on retombe à zéro. Et cette partie est particulièrement difficile. Nous avons reçu trois ou quatre fois de l’aide de la famille, mais c’est tout. C’est ainsi. Ils font ce qu’ils peuvent.
Puis finalement j’ai dû recommencer le travail. Je suis gêné de le dire, mais j’avais hâte. Ça voulait dire du temps pour apprendre, car je dois constamment apprendre en faisant mon métier. Du temps pour écouter de la musique, car je passe la journée avec les écouteurs sur la tête. Enfin, du temps pour me recharger !
Ça fait maintenant plusieurs semaines que j’ai recommencé à travailler. Et étonnamment, ce n’est pas plus la grande forme. Ma conjointe trouve difficile de s’occuper à temps plein de deux petites filles. Et je la comprends trop bien. J’ai donc toujours ce grand sentiment de culpabilité dès que je m’ouvre les yeux le matin suite à ma nuit de sommeil nécessaire. Dès que je sors faire des commissions. Dès que je veux relaxer un peu après une énorme journée de travail. Impossible. Donc non, ça ne va pas mieux. Je sens sa fatigue et sa jalousie envers ma situation. Je ne sais pas quand ça ira mieux. Nous sommes deux personnes avec des besoins assez différents. Nous arrivions merveilleusement bien à faire danser tous ces besoins dans une gracieuse harmonie, mais nous avons perdu le rythme. Ma survie mentale dépend de mes moments où je m’abandonne à mes intérêts restreints. Et je pouvais le faire au seul moment où c’était opportun : le soir lorsque tout le monde était couché. Mais maintenant, si je veille tard, ma conjointe attendra de moi que je m’occupe des jumelles pendant qu’elle dort. C’est probablement légitime comme attente. C’est difficile pour moi de se mettre à sa place, et probablement encore plus pour elle de se mettre à la mienne.
Nous passerons au travers.