Ma différence a un nom « officieux »

Troisième et dernière rencontre avec ma neuropsy, le verdict est tombé :

« Ainsi, à la lumière des éléments recueillis à l’histoire développementale, ainsi que les observations et des résultats de la présente évaluation, le portrait cognitif, affectif et comportement de monsieur X apparaît compatible avec ce qu’on rencontre généralement lors d’un trouble du spectre de l’autisme et oriente vers cette hypothèse ».

Vers cette hypothèse, car bien que ma neuropsy aurait pus émettre un diagnostic officiel, la sévérité et l’impact font qu’elle a préféré me recommander un diagnostic officiel auprès d’un psychiatre, ce qui est correct. De toute façon, un psychiatre aurait besoin de l’évaluation d’une neuropsy, donc cette étape serait franchie.

Je dis « serais franchie » car je ne pense pas aller plus loin : je suis maintenant, suffisamment à mon goût, diagnostiqué Asperger, ou Aspie pour les intimes. C’était une révélation pour moi à la suite de mes lectures et de mon introspection personnelles. Je le savais. Le verdict de ma neuropsy n’est que la confirmation que je m’étais bien évalué. Je ne ressens pas le besoin de dépenser plus d’argent (le mien ou celui des autres (secteur public)) pour me faire dire ce que je sais déjà.

Voici maintenant à quoi je dois plutôt me préparer.

« Asperger ? C’est quoi ça ? De la cuisine moléculaire ?

Ah ? Une forme d’autisme, tu dis ?

Toi ? Ben voyons ! Tu n’es pas autiste.

Sais-tu c’est quoi un autiste, coudonc ? »

Mais quel est le visage de l’autisme au juste ? Comment se présente l’autisme dans la sphère hautement fonctionnelle du spectre ? La réponse ici.

Je vais citer une partie de cet article ici :

L’autisme en soi est invisible. Chez certains autistes, certains gestes, rituels, comportements ou une socialisation atypique peuvent être plus apparents. Pour d’autres, tout demeure à l’intérieur. Tout est caché au fond de soi afin de devenir “un être socialement acceptable”. Être un caméléon, se camoufler, imiter pour se fondre dans la masse est la plus grande spécialité de plusieurs autistes.

Il n’y a rien de « léger » dans l’autisme. L’autisme est un fonctionnement neurologique différent. Un fonctionnement minoritaire. Les autistes doivent ramer constamment dans un univers qui n’est pas tout à faire le leur. Beaucoup de pratique, beaucoup d’années d’expérience, beaucoup de jonglerie mentale, beaucoup de stratégie de compensation permettent aux autistes de manœuvrer leur cerveau non autiste plus rapidement, parfois plus aisément et d’avoir, en apparence, une socialisation conventionnelle.

Il faut cependant garder en tête que ce que les autres font intuitivement, les autistes l’apprennent par observation, répétition, logique, observation, répétition, logique, observation, répétition, logique, encore et encore…

La particularité de mon diagnostic repose sur cette phrase : « Il possède tous les critères, mais la sévérité et l’impact au niveau fonctionnel sont sommes tout légers ». (Mise à jour : j’ai mal compris cette phrase et je l’ai interprété d’une façon tout autre qu’elle devait l’être. J’ai par la suite publié un article à ce sujet disponible ici.)

J’étais un peu abasourdi en écoutant ma neuropsy me lire et m’expliquer cette phrase. Elle m’a demandé si j’allais bien, car j’étais très calme et je ne disais rien alors que j’étais extrêmement volubile les fois précédentes. C’est que je ne savais pas comment digérer ces émotions ni comment mettre des mots sur mes pensées. Comme toujours, ça me prend un certain temps d’analyse avant de pouvoir mettre des mots sur ce que je ressens.

Puis, à tête reposée, j’ai compris que je ressentais les émotions suivantes :

  • Déception
  • Culpabilité et colère
  • Solitude

Bref, rien de bien joyeux.

De la déception, car je me suis senti incompris. Durant la première et la deuxième rencontre, je me suis senti en phase avec ma neuropsy, comme si elle avait bien cerné qui je suis. Qu’elle avait bien cerné l’extraordinaire prouesse dont mon cerveau a fait preuve pour un apprentissage différent de la socialisation, aux dépens d’une énergie incommensurable pour l’appliquer au quotidien. De la déception, car lors de la lecture de la phrase concernant la sévérité de mon diagnostic, j’ai su que je n’avais pas bien été compris. Il faut dire aussi qu’une rencontre de 2 heures « cliniques » ne suffisait réellement pas à comprendre l’étendue de ma personne (et probablement de n’importe qui, d’ailleurs). Il y a tellement de choses que je n’ai pas eu le temps de dire.

De la colère et de la culpabilité, car je croyais avoir su désactiver une partie de mon masque social de façon suffisante pour laisser paraître le niveau d’énergie requis à utiliser ce masque. Je suis déçu et fâché de ne pas y être arrivé suffisamment pour me faire comprendre.

Solitude, car je me retrouve toujours incompris avec moi-même, seul porteur de ma condition et du fardeau de tenter de l’expliquer à mes proches.

Et finalement, aussi un léger soulagement d’être allé au bout de ce que je souhaitais entreprendre.

Si je me mets à la place de ma neuropsy, j’arriverais probablement aux mêmes conclusions. C’est vrai que l’impact de mon TSA au niveau fonctionnel de ma vie n’a pas l’air sévère. J’ai ma propre entreprise, j’ai une conjointe, bientôt trois enfants, une maison, une famille qui m’aime.

Tout ça, c’est facile pour moi. Avoir une conjointe, une fois que c’est fait, c’est fait. Dans le sens où les liens sont faits, nous les entretenons selon des barèmes que nous avons définis ensemble, les règles sont bien définies, bref ça requiert peu d’énergie et l’ouverture à l’autre apporte une sérénité que peu de relations peuvent apporter. Avoir un enfant, ça va. Ça demande le même effort qu’à tout parent, et ça apporte une joie indescriptible. Avoir ma propre entreprise, c’est loin d’être facile, mais ça me procure une liberté sans pareille.

Le problème, c’est quand je sors de mon cocon de « réussites sociales ». Que des gens viennent chez moi, ou lorsque je sors de mon nid douillet pour m’entourer de neurotypique. Et non, ça ne paraît pas ! On dirait que j’ai fait ça toute ma vie. J’ai toujours été un peu bizarre, on le dit. Mais autiste ?

Donc, ne pas « avoir l’air » autiste, mais à quel prix en termes d’énergie ? Je me rends compte aujourd’hui qu’une fatigue intense s’est installée suite à l’utilisation quasi permanente de ce que j’appelle mon masque social, ou mon déguisement social, qui me laisse paraître un peu bizarre, mais sans plus.

J’aurai donc un travail personnel à faire dans les prochaines semaines, les prochains mois, les prochaines années (tsé le gars veut pas se mettre trop de pression !) : me connaître. Sous ce déguisement, qui suis-je ? Comment réapprendre à réduire ce masque, du moins en partie ? Ou pas ? Je ne vis pas si mal avec ça. Ou peut-être que oui ? Au fond, peut-être que l’impact de mon TSA n’affecte réellement pas autant mon quotidien que je semble le croire. C’est peut-être moi qui me suis voûté dans le déni. Mais je sais ce que je vis, ce que je ressens, ma fatigue sociale chronique. Je ne l’invente pas, mais je la masque trop adroitement. Devrais-je me permettre « d’avoir moins l’air » neurotypique, pour me rapprocher davantage de ma vraie nature ?  Tant de questions je devrai découvrir, et que seul moi, dans un travail sur moi-même, serai à même de découvrir.

J’ai également appris quelque chose d’anecdotique : mon intelligence est apparemment beaucoup supérieure à la moyenne. Ce sera une autre chose à explorer. Ce résultat a été obtenu après divers outils d’évaluations : test de l’échelle d’intelligence de Wechsler pour adultes (WAIS-IV), test de la Figure complexe de Rey, test d’apprentissage verbal de Californie (CVLT), test d’attention d2, trail making test du D-Kefs (condition 2 et 4), échelle d’évaluation SNAP-IV, le quotient du spectre de l’autisme (QA), The Cambridge Behaviour Scale 2004, Conners (version parent). J’ai écrit tout ça car personnellement ça m’aurait intéressé de connaître le nom des outils d’évaluation.


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Keven

À propos de Keven

Passionné d'informatique, d'électronique et de « machines à gaz ». Papa d'un garçon et de deux jumelles. Sur mon bateau d'Aspie, tantôt troué tantôt réparé, j'échappe quelques lignes sur mon blogue que j'ai créé pour évader mes pensées.

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